Oui à l’Acte 4 de la décentralisation, mais osons fusionner nos agences et repenser nos territoires

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L’annonce faite par le ministre de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’Aménagement du territoire, Balla Moussa Fofana, d’aller vers l’Acte 4 de la décentralisation, marque une nouvelle ère pour la gouvernance territoriale au Sénégal.
Selon lui, cette réforme ambitionne de corriger les déséquilibres historiques et de faire émerger des pôles territoires, véritables leviers de souveraineté économique et de justice sociale.

Je félicite cette volonté politique et je partage pleinement la vision du ministre , lorsqu’il affirme que les pôles territoires seront la revanche de nos territoires sur les déséquilibres historiques.
Oui, cette réforme est nécessaire. Mais elle doit aller plus loin, oser la rationalisation institutionnelle et la refondation des territoires.

Une décentralisation à l’épreuve du temps

Depuis son accession à la souveraineté internationale, le Sénégal a fait le choix d’une décentralisation prudente, progressive et irréversible.
Trois grandes étapes ont marqué ce processus:

Dès son accession à la souveraineté internationale, le Sénégal a opté pour une politique de décentralisation prudente, progressive et irréversible. Cette option a été confirmée au cours des différentes phases qui ont marqué cette politique. 
La première réforme majeure de 1972 pose l’acte précurseur de libertés locales plus affirmées, avec la création des communautés rurales, la promotion de la déconcentration et la régionalisation du plan.

La deuxième réforme majeure, réalisée en 1996

« dans le souci d’accroitre la proximité de l’Etat et la responsabilité des collectivités locales », consacre la régionalisation avec, notamment, l’érection de la région en collectivité locale, la création de communes d’arrondissement.

La réforme de 1996 a constitué un tournant décisif dans le processus sénégalais de décentralisation puisqu’elle modifie, fondamentalement, les relations entre l’Etat et les collectivités locales en renforçant l’autonomie de gestion par, entre autres, la libre administration et l’allègement du contrôle, ainsi que les compétences de ces dernières dans neuf domaines. Elle a, également, été marquée par l’institution de nouveaux dispositifs destinés au renforcement des moyens financiers, humains et matériels des collectivités locales afin qu’elles puissent assurer une bonne gestion de leurs compétences.
Cependant, malgré les progrès et acquis enregistrés, beaucoup de faiblesses et de contraintes pèsent encore sur la mise en œuvre de la politique de décentralisation.
La politique de décentralisation au Sénégal se heurte, en effet, à beaucoup de limites, à savoir, notamment:

-     Les faiblesses objectives du cadre organisationnel et fonctionnel de la décentralisation pour lapromotion d’un développement territorial ;

-     Le manque de viabilité des territoires et de valorisation des potentialités de développement des territoires ;

-     La faiblesse de la politique d’aménagement du territoire limitée par une architecture territoriale rigide ;

-     La faiblesse de la gouvernance territoriale accentuée par une multiplicité d’acteurs avec des logiques et des préoccupations parfois différentes ;

-L’incohérence et l’inefficience des mécanismes de financement du développement territorial ;- la faiblesse de la coproduction des acteurs du développement territorial qui induit fortement l’inefficacité des interventions.
Le contexte et la faiblesse des politiques et stratégies de développement appliquées jusque-là, nécessitent, en conséquence, d’initier des alternatives susceptibles de corriger les déficiences et de produire simultanément des progrès significatifs à l’échelle nationale et un développement local harmonieux.

Dans cette perspective, l’option est prise de construire, dans le cadre d’un dialogue consensuel et prospectif, le renouveau de la modernisation de l’Etat, à travers une décentralisation cohérente dans ses principes, et performante dans sa mise en œuvre.
Aussi, le Gouvernement envisage-t-il la refondation majeure de l’action territoriale de l’Etat, à travers le projet de réforme de la décentralisation.

L’objectif général, visé par cette réforme, baptisée « l’Acte III de la décentralisation » est d’organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable.

Cette réforme plonge ses racines dans une véritable politique d’aménagement du territoire et oriente la concrétisation des aspirations et des espoirs des acteurs territoriaux, en vue de bâtir un projet de territoire. Elle offre l’espace adéquat pour construire les bases de la territorialisation des politiques publiques.
Elle se déclinait  en quatre objectifs fondamentaux:

-     Un ancrage de la cohérence territoriale pour une architecture administrative rénovée ;

-Une clarification des compétences entre l’Etat et les collectivités locales ;

-Un développement de la contractualisation entre ces deux niveaux décisionnels ;

-     Une modernisation de la gestion publique territoriale, avec une réforme des finances locales et une promotion soutenue de la qualité des ressources humaines.

Compte tenu de sa complexité et de son contenu décisif pour l’avenir de notre pays, l’Acte III de la décentralisation sera mis en œuvre progressivement et s’effectuera en deux phases.
Il s’agira, dans une première phase :

-     de supprimer la région collectivité locale ;

-     d’ériger les départements en collectivités locales ;

-     de procéder à la communalisation intégrale par l’érection des communautés rurales et des communes d’arrondissement en communes ;

-     de créer la ville en vue de mutualiser les compétences des communes la constituant ;

-     de répartir les neuf domaines de compétences jusqu’ici transférées entre les deux ordres de collectivités locales que sont le département et la commune.

La première phase doit se dérouler dans le respect des limites territoriales actuelles des entités administratives concernées.

La mise en œuvre d’une telle réforme justifie l’adoption d’un nouveau Code général des Collectivités locales qui abroge et remplace les lois n° 96-06 portant Code des Collectivités locales, n° 96-07 portant transfert de compétences aux régions, aux communes et aux communautés rurales et n ° 96-09 du 22 mars 1996 fixant l’organisation administrative et financière de la commune d’arrondissement et ses rapports avec la ville.

Ces réformes ont permis des avancées notables : une meilleure proximité de l’État, une responsabilisation accrue des élus locaux, et l’élargissement des compétences transférées.

Mais malgré ces progrès, les limites sont encore nombreuses :
Faiblesse de la gouvernance territoriale, chevauchement institutionnel, manque de viabilité économique des territoires, rigidité administrative, difficile conditions de travail des agents des collectivités territoriales, la situation des adjoints au maire et le  financement local peu cohérent.

Toutefois, beaucoup d’avancées ont été notées dans l’acte 3 de la décentralisation  pour rappeler des propos de  l’ancien ministre des collectivités territoriales, du développement et de l’aménagement du territoire, Oumar Gueye.

« L’Acte 3 de la décentralisation était une excellente réforme ayant redonné la dignité aux anciennes communautés rurales devenus depuis des communes de plein exercice. Cette réforme a apporté la communalisation intégrale, de ce fait, toutes les communes sont d’égale dignité » avait t-il soutenu.

Il poursuivait en soulignant que cette réforme a également favorisé une augmentation des ressources de l’Etat vers les collectivités territoriales, comme la contribution économique locale (CEL).
’’Auparavant, il n’y avait que la patente que seules les collectivités territoriales abritant des industries ou usines pouvaient percevoir. Maintenant avec l’équité territoriale, les ristournes et le fonds péréquation minier constituent une manne financière importante que l’Etat central cède aux collectivités territoriales pour leur permettre de réaliser énormément de choses’’ , a-t-il avancé.
Il avait aussi évoqué le PACASEN (Programme d’appui aux communes et agglomérations du Sénégal).

L’Acte 4 : un tournant à saisir

Inscrit dans le cadre de la stratégie nationale de développement 2025-2029 et de la vision Sénégal 2050, l’Acte 4 s’annonce comme un chantier structurant.
Il ambitionne de bâtir des territoires viables, compétitifs et attractifs, en articulant la gouvernance, la justice sociale, le développement durable et le capital humain.
Mais cette réforme, pour être efficace, doit dépasser les intentions.
Elle doit s’accompagner d’une révision courageuse des structures et des mécanismes existants.
Autrement dit : il faut oser aller plus loin en fusionnant les agences pour plus d’efficacité.

Il est temps de repenser la multiplicité des structures de développement.
Aujourd’hui, nous avons l’Agence de Développement Municipal (ADM), l’Agence de Développement Local (ADL), et l’Agence Nationale de l’Aménagement du Territoire (ANAT), qui interviennent souvent sur des missions qui se recoupent.

Je propose la fusion de ces structures en une grande Agence nationale du Développement Territorial. Une telle entité permettrait une meilleure cohérence des politiques publiques territoriales, une rationalisation des dépenses publiques, une mutualisation des ressources et des compétences et un appui renforcé aux collectivités territoriales.

Cette réforme structurelle serait un acte fort de bonne gouvernance et d’efficacité publique, tout en renforçant la souveraineté de nos territoires.

L’Acte 4 ne doit pas être une simple réorganisation administrative.

Il doit régler définitivement des questions de fond, souvent reportées :le statut de l’élu local et de ses adjoints, la clarification des limites territoriales dans les 557 communes, sources de nombreux conflits fonciers, la restructuration des finances locales ,la gestion durable de l’eau, enjeu vital du développement local, et le renforcement des ressources humaines au sein des collectivités territoriales.
Ces chantiers sont essentiels si l’on veut réellement bâtir des territoires dynamiques et attractifs.

Le développement économique local ne se décrète pas : il se construit.

C’est la création de valeur pour le territoire et ses habitants, grâce à la mobilisation de leurs ressources, de leurs acteurs et de leurs savoir-faire, sous le pilotage actif des collectivités territoriales. En encourageant l’économie de proximité et en valorisant les spécificités locales, on crée des emplois durables, on améliore la qualité de vie et on renforce le lien social.

La décentralisation n’est pas une affaire de politique ; c’est une école de responsabilité et de confiance. Osons faire de l’Acte 4 non pas une réforme de plus, mais la véritable refondation territoriale du Sénégal.

Cheikh Tidiane Sarr  Journaliste 
membre du cercle des communicants en décentralisation (2CD), spécialisé dans la décentralisation, la gouvernance locale et le développement territorial, animateur en coaching territorial, facilitateur de développement , diplômé de l’Institut Africain de Développement local (IADL Thies).



 

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