Le Sénégal est à la croisée des chemins. Son sort ballotte entre les caprices d'un pouvoir aux cimes de sa force et une opposition aux velléités manifestes. Plus que de se regarder en chiens de faïence, ces deux blocs bellicistes gangrènent la paix sociale longtemps établie en cette partie de l'Afrique de l'Ouest. Cette réflexion tente d'exposer les raisons qui ont conduit à une situation de cet ordre.
Le 08 décembre 2011, L'Organisation dirigée par le birman Ban Ki Moon, écrivait dans son premier rapport sur la situation des droits humains de la minorité LGBT ceci :
« En tant qu'hommes et femmes de conscience, nous rejetons la discrimination en général, et en particulier la discrimination basée sur l'orientation sexuelle et l'identité liée au genre. Lorsqu'il existe une tension entre les attitudes culturelles et les droits de l'homme universels, les droits doivent l'emporter. Ensemble, nous souhaitons l'abrogation de lois qui criminalisent l'homosexualité, qui permettent la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre, et qui encouragent la violence ».
Ainsi donc, moins d'un quart de siècle après l'édition de la fameuse charte sur les droits et libertés individuels, l'ONU appelle les pays du monde à « abroger toutes les lois discriminant les personnes à cause de leur orientation sexuelle et leur identité de genre ainsi qu'à garantir le respect de leurs droits fondamentaux ».
Le 25 mars 2012, Abdoulaye Wade perdait l'élection présidentielle. Le 18 septembre de cette même année, s'ouvraient les travaux de la soixante septième session de l'Assemblée Générale des Nations Unies.
Le 26 juin 2013, Obama posait ses valises à Dakar, bloquant la circulation et chamboulant les habitudes par le dispositif sécuritaire impressionnant qui l'accompagnait.
Alors, seulement quelques mois après avoir dit « Nous, chefs d’État et de gouvernement et chefs de délégation, nous sommes réunis au Siège de l’Organisation des Nations Unies à New York, le 24 septembre 2012, afin de réaffirmer notre attachement à l’état de droit et son importance fondamentale pour le dialogue politique et la coopération entre tous les États et pour le renforcement de l’action relevant de la triple vocation de l’Organisation : paix et sécurité internationales, promotion des droits de l’homme, développement... » ; l'opération était enclenchée pour faire du Sénégal un modèle en Afrique et Obama et Macky Sall se mettaient à l'oeuvre, instaurant le débat sur l'homosexualité au Sénégal et plus généralement en Afrique.
Ce sujet qui suscite beaucoup d'intérêt a des ramifications nombreuses parce que le respect des droits des minorités LGBT ne se fait pas sans une révolution sociale qui installe leurs droits dans la pérennité et la stabilité.
Pour promouvoir l'inclusion sociale, de vieilles habitudes doivent s'oublier, une nouvelle famille sénégalaise inventée et les préceptes religieux dilués.
A cet effet, le Président du Sénégal ; déjà lors de son premier mandat qui s'est étendu de 2012 à 2019 ; ouvrait les chantiers qui devaient mener à un résultat satisfaisant. La démarche s'est articulée autour de cinq objectifs principaux, à savoir :
1- La dépénalisation de l'homosexualité qui assure le droit des LGBT
2- La réforme du Code de la Famille sénégalaise qui réalise simultanément l'ambition de freiner une forte croissance démographique et une restructuration du modèle familial classique
3- La modernisation des daaras qui tend à rendre souple et dépouillé d'âme l'apprentissage du Coran longtemps pratiqué au Sénégal
4- L'avortement médicalisé légal, avec en filigrane la Procréation Médicalement Assistée (PMA) dont un premier centre est déjà opérationnel à l'hôpital Dallal Jamm de Guediawaye et a suscité l'ire de l'ancien directeur démissionnaire
5- L'introduction de l'éducation sexuelle à l'école (élémentaire et secondaire)
Aucun de ces projets ne se concrétisera sans une farouche opposition de la presque totalité des forces vives de la Nation sénégalaise.
En 2016, lors du référendum initié par le régime de Macky Sall, presque quatre ans après son accession à la magistrature suprême, une campagne pour le « Non » s'est bâtie autour du refus catégorique de souscrire aux nouveaux droits confus soumis à l'approbation des sénégalais. Les modifications ont été adoptées par une timide majorité, le rejet ayant été massif dans presque toutes les grandes villes.
Antérieurement à cela, en 2015 au mois de février ; l'Etat du Sénégal se voyait contraint de retirer le projet de Loi portant modernisation des daaras suite à une forte pression des maîtres coraniques qui s'étaient dressés en bouclier du modèle classique d'apprentissage hérité de nos valeureux ascendants.
En parallèle, dans le livret d'argumentaires juridiques de la Task Force pour l'avortement médicalisé, organe mis sur pied par l'Etat du Sénégal et fortement investi par les institutions féministes telles que l'AJS (Association des Juristes Sénégalaises) et Siggil Jigéen, il est écrit :
« Partant du constat de la situation dramatique que cause l’interdiction de l’avortement médicalisé, il convient de rappeler les engagements de l’Etat du Sénégal pour aller vers l’autorisation de l’avortement médicalisé. »
Ces faits et cette chronologie exposés visent surtout à éclairer le lecteur sur les éléments qui se révèlent dès le lendemain du scrutin de février 2019 qui a consacré le second mandat du Président Macky Sall.
Le Président sénégalais souhaite, de toute évidence, achever les réformes agitées lors du mandat précédent, lesquelles avaient connu des débats passionnés.
La venue de Justin Trudeau , Premier Ministre du Canada, à Dakar et son discours en faveur de l'émancipation des minorités sexuelles en sont une preuve historique. Le quotidien national avait mis sur sa version en ligne le texte de Mia Rabson de La Presse Canadienne dont l'extrait suivant est sans équivoque sur les motivations de cette visite.
« Le premier ministre Justin Trudeau est arrivé mardi au Sénégal pour une visite officielle qui mettra à l’épreuve son engagement envers l’égalité des genres avec l’un des plus proches partenaires francophones du Canada sur le continent africain. ».
L'auteure ajoutait plus loin dans le texte : « La campagne internationale anti-pauvreté «ONE» aimerait que M. Trudeau soulève la question de la violence fondée sur le genre avec le Président Sall. »
Maintenant que Biden, nouveau président des USA depuis le 20 janvier de cette année, encourage les agences américaines engagées à l'étranger à émettre des sanctions à l'encontre des pays qui continuent de restreindre les libertés des minorités LGBT, il est aisé de savoir que le Président Macky Sall a plus que jamais le dos au mur. Il a longtemps bénéficié du soutien des pays occidentaux dans la mise en œuvre de sa politique et doit leur fournir des résultats concrets sur les chantiers entamés.
Au vu de l'aversion des sénégalais et sénégalaises aux nouveaux droits et du fort rejet des politiques sociétales, le Président avait décidé très vite de prendre les choses en main, supprimant le poste de Premier Ministre par une réforme constitutionnelle incongrue et cachée aux citoyens jusqu'aux derniers instants. Cet état de fait le rendait maître d'un jeu dangereux et l'adhésion du parti Rewmi d'Idrissa Seck à la majorité présidentielle avait fini de concrétiser la bipolarisation de la scène politique sénégalaise tant souhaitée par les conseils de Macky Sall.
Le Président veut être champion d'anamorphose mais le défi est risqué. Le toilettage du corpus juridique et les changements des acronymes de certaines institutions officielles pour se conformer à la volonté de l'Organisation des Nations Unies sont opérés tandis qu'un discours présidentiel, en langue nationale (destiné à la consommation locale), tend à conforter les populations dans leur homophobie manifeste. Cette antinomie des positions est entretenue expressément par l'élite qui préside aux destinées des populations sénégalaises mais ne sera pas indéfiniment tolérée par les partenaires stratégiques réunis dans l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord).
Macky Sall a pris part au sommet du G7, dès l'été de sa réelection, à Biarritz où le thème n'était rien d'autre que la lutte contre les inégalités. En 2020, il était à Davos.
Le Président Macky Sall a bien conscience de la lourdeur des réformes à établir et des risques encourus s'il s'obstine à créer les conditions sociales d'une existence paisible des minorités sexuelles. Il n'a d'autres choix que de montrer une fermeté remarquable au peuple sénégalais afin de taire toute voix dissidente. Désormais, les concessions seront minimes et l'imposition, y compris par la force physique, des réformes semble être la seule solution au Président qui ne sera âgé en 2024 que de soixante trois (63) ans.
La dernière ligne droite est ainsi entamée pour la survie politique après ces trois années qui le séparent de la prochaine bataille présidentielle.
C'est ainsi qu'il faut comprendre sa tournée économique fortement politisée, ses chevaux de troie dans les process de l'opposition politique, l'arrestation tous azimuts des maîtres coraniques et des activistes à la prolixité subversive.
C'est ainsi qu'il faut comprendre le recrutement et l'entretien de cette milice armée qui, tout au long de la tournée économique du Président, ne cesse de brutaliser les populations qui souhaitent montrer leur mécontentement au Président de la République.
C'est ainsi qu'il faut comprendre les changements qui interviennent, ces jours-ci, encore au sommet de la hiérarchie des forces de défense et de sécurité.
Macky Sall choque délibérément les citoyens sénégalais par des déclarations abruptes, les qualifiant de « paresseux qui ne pensent qu'à faire la fête » ou alors les heurtant par des positions va-t-en guerre comme lors de son dialogue avec la Nation, en fin d'année dernière, au cours duquel il dit explicitement ne pas voir les brassards rouges qui sont arborés par certaines populations pour signifier une non satisfaction de leurs attentes.
Le Président Macky Sall ne dispose plus que d'un argument envers sa population afin de leur faire accepter les réformes : La Peur.
La société réagit de manières diverses face à ce sentiment intense qui peut se transformer en nervosité. Autant la peur peut stimuler des individus, autant elle est prompte à paralyser, inhiber toutes les forces d'une personne. Le but visé dans l'utilisation que veut en faire le Président de la République est la paralysie de toutes les forces vives afin qu'aucune hétérodoxie ne soit admise.
Que ceux qui pensent que le déploiement de ces énergies nocives à l'harmonie sociale est à juxtaposer avec une volonté de briguer une troisième élection sachent que Macky Sall est promis à une belle carrière internationale s'il réussit la révolution sociale au Sénégal.
L'éventualité d'une troisième candidature ne sera explorée que si les réformes tardent à se concrétiser et pour l'heure Macky Sall, Président-Chef, tient bien l'opportunité d'asseoir ses projets de loi.
N'avait il pas prophétisé la réduction de l'opposition politique à sa plus simple expression ?
L'attitude de Ousmane Sonko, que Macky Sall a lui même créé politiquement, dans ses visées de déstructurer l'opposition et de consacrer une dualité qui lui est favorable ; n'est qu'une exception qui confirme la règle. Cet ancien fonctionnaire ne semble pas comprendre la stratégie efficace et s'arc-boute au droit imprescriptible de résistance et ne jure que par le rapport de force physique, en lieu et place de celui politique ou social. Il fait le jeu de Macky Sall, peut être sans le savoir, en instiguant les populations à relever le défi politique par la violence. Cela insufle la peur dans le cœur des paisibles citoyens sénégalais. Et la peur favorise les actions de Macky Sall.
Macky Sall utilise l'intelligence émotionnelle pour espérer mener à bien ses projets, mais la société sénégalaise a toujours démontré par le passé pouvoir sortir de situations compliquées et préserver les acquis de paix, de stabilité et d'hospitalité qui sont, aujourd'hui encore, ses traits de caractère indélébiles.
Analyses et Perspectives d'Afrique
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