Voilà 50 ans que naissait, dans un sous-sol du South Bronx à New York, la culture hip hop, devenue l’une des forces majeures de la pop music, y compris en France. Retour sur la genèse d’un mouvement culturel majeur.
Samedi 11 août 1973. Dans la Rec Room, le local situé au sous-sol du 1520 Sedgwick Avenue dans le South Bronx, Cindy Campbell est aux anges. La petite fête qu’elle a organisée pour fêter la fin des cours (et se payer des nouvelles fringues pour la rentrée au lycée) bat son plein.
Le prix d’entrée ? 50 cents pour les garçons, 25 cents pour les filles. La soirée rassemble des représentants de toutes les branches de la culture hip hop alors en gestation : des rappeurs, mais aussi des graffiti artistes, des danseurs de break et bien sûr un DJ, le plus grand influenceur des débuts du mouvement, son frère de 18 ans Clive Campbell, mieux connu sous le nom de DJ Kool Herc (pour "Hercules").
Armé de ses deux platines et d’une table de mixage, Herc tranche en menus morceaux les breakbeats du classique de James Brown Give It Up Or Turnit A Loose, un titre inclus sur l’album Sex Machine qu’il a posé fièrement devant lui, le mélangeant à d’autres extraits musicaux tirés de Bongo Rock par l’Incredible Bongo Band et The Mexican par Babe Ruth. Avec son micro, il relance l’ambiance par des appels aux danseurs : "To the beat, y’all ! Rock on, my mellow ! You don’t stop !". Ce jour symbolique, celui de "la première soirée hip hop recensée", marque la naissance officielle du mouvement dont on fête le premier demi-siècle.
Précurseurs et premières stars
Avant de devenir une lame de fond qui va révolutionner le monde de la pop, le hip hop est une culture du ghetto noir américain new-yorkais dont les précurseurs furent, dès l’année 1970, The Last Poets, collectif de poésie politique scandée sur fond de percussions et de jazz funk, les Watts Prophets (album Rappin’ Black In A White World en 1971) et Gil Scott-Heron, poète devenu musicien avec son album Small Talk At 125th And Lenox.
La première star est Kurtis Blow, dont le manager n’était autre que Russell Simmons, futur cofondateur du label Def Jam et un des premiers businessmen du rap. Le premier succès planétaire sera Rappers’ Delight en 1979, un morceau classique signé Sugarhill Gang qui infiltrera les discothèques du monde entier avec ses lyrics futés et son instrumental emprunté au hit de Chic Good Times.
Dès lors, le flot ne cessera plus jamais : Run-DMC, Eric B & Rakim, Public Enemy, NWA, Eminem, Kendrick Lamar, chaque nouvel artiste amenant son lot d’innovations, de flows vocaux inédits, de lyrics furieux et d’influences musicales allant du funk au rock en passant par la country et la musique baroque.
Premiers Français
En France, c’est au tout début des années 80 que le rap va s’infiltrer. Parmi les premiers activistes de ce style vécu avec une ferveur religieuse, on trouve deux des futurs grands du rap français, Mathias Cassel, alias Rockin’ Squat, du groupe parisien Assassin et Philippe Fragione, alias Akhenaton, du groupe marseillais IAM.
Mathias se souvient de son premier choc culturel made in USA : "Je n’avais pas encore dix ans et j’ai dû, par décision de justice, partir à New York rejoindre ma mère, ça devait être en 1979. Là, je me rappelle être dans le métro et avoir été ébloui par tous ces tags et ces graffitis. C’était l’époque de Seen, Dondi, Case2, Stay High 149, T-Kid…À cette même période, j’ai vu à plusieurs reprises des personnes dans la rue en train de rapper. Ce flot de mots m’impressionnait. Cela me rappelait ce que tout petit déjà, j’écoutais à la maison, des artistes comme Cab Calloway ou Al Jarreau, qui avaient ce débit que les autres artistes n’avaient pas".
Akhenaton, lui, a découvert le rap en France, à un très jeune âge : "À l’anniversaire de mes 12 ans, en 1980, un de mes meilleurs amis m’a offert un maxi de Sugarhill Gang, Jam Jam je crois, et j’ai halluciné. On a eu une chance incroyable à Marseille, dès 1980/81 : on avait des émissions qui passaient du funk et du rap. Je me suis mis à écouter du rap de manière effrénée parce qu’il y avait l’émission Starting Black de Philippe Subrini sur Radio Star. C’était incroyable. L’histoire du rap à Marseille est différente de celle de Paris, ça n’était pas les mêmes acteurs. Comme à Lyon, c’était une évolution parallèle : il y avait Dee Rock, Poptronic qui rappait en français et en anglais. Il a fini par émigrer à Harlem. Il est en 1990 dans le clip réalisé par Rapline de IAM Concept et Elvis ! Dans toutes les villes, il y avait des activistes. La révélation pour moi a été en 1981 quand j’ai entendu Disco Dream de Mean Machine, avec un MC qui rappait en espagnol. J’ai halluciné. Je me suis dit qu’on pouvait rapper dans une autre langue que l’anglais, et c’est resté dans un coin de ma tête. Mes premiers raps en 1984, c'étaient des covers en anglais, je rappais sur leurs textes sur les faces B. Et dès fin 1984, j’ai écrit mon premier texte en français".
"Chill Phil", comme on le surnommait alors, va effectuer plusieurs voyages à New York dès 1984 : "Ça a été la claque. Je faisais des allers-retours, des séjours de trois mois. Entre 1984 et 1991, j’ai dû passer trois ans en tout aux USA. Je suis allé à L.A. en 1984 et ça ne m’a pas plu, c’était la Côte d’Azur en low cost. Les mêmes montagnes, les mêmes arbres, et des embouteillages de quatre heures. New York puait le hip hop dès 1984, L.A. était encore assez funk".
AKH sera un des premiers Français à poser sur un disque américain, le maxi de Choice MC This Is The B Side : "Il y avait le studio du label Idlers Records dans la maison où je vivais. Je dormais à l’étage et le studio était en bas. Tu t’imagines bien que j’étais fourré au studio 24 heures sur 24. En plus le quartier n’était pas terrible si tu voulais survivre, c’était la fusillade générale. Tout le monde défilait dans le studio. C’est là où j’ai connu Whodini, T La Rock, DJ Red Alert, Fresh Gordon, des tas d’artistes new-yorkais. Un jour, je descends en pyjama et pantoufles, et il y avait ce groupe de Brooklyn, Choice MC, produit par Todd Terry et Chubb Rock. À un moment donné, MC Sergio accroche sur son deuxième couplet et le producteur me dit : 'Phil, fais-lui écouter comment tu rappes en français'. Je suis allé au mic’ en pyjama et j’ai posé un couplet. Ils devenaient fous. Ils l’ont gardé direct".
Squat, qui a rencontré son complice Solo en 1985 et enregistré les premières maquettes d’Assassin en 1986, a sorti le premier maxi du groupe, Note mon nom sur ta liste !, en 1991. Il se souvient des débuts du rap d’ici : "Pour moi, la première fois que j’ai entendu le phrasé rap en France, c’est le groupe Chagrin d’Amour et leur titre Chacun fait (C’qui lui plait) en 1982. Mais le premier vrai disque de rap français, c’est Jhonygo & Destroy Man avec le maxi Égoïste/On L’Balance sorti en 1987, car l’album Paname City Rappin’ de Dee Nasty sorti en 1984 est plus un disque d’électro pour moi. Sinon, on peut aussi citer le maxi ricain Une sale histoire de Fab Five Freddy & Beside sorti en 1982, vu que ça rappe en français !"
Référence
La date du 11 août est devenue une référence, le groupe de Marc Nammour, La Canaille, ayant même titré son quatrième album 11.08.73. Et Rockin’ Squat compte bien fêter en musique les 50 ans du hip hop : "Mon nouvel album s’appelle 1520 en hommage au 1520 Segdwick Avenue, l’adresse de DJ Kool Herc dans le Bronx où tout a commencé. L’album est quasiment fini, tous les titres reprennent des samples classiques des plus grands standards de notre culture, revisités à la sauce XXIe siècle. Un vrai kif ! Il sortira plutôt fin 2023 début 2024".
AKH n’est pas en reste, et IAM participera aussi à cet anniversaire : "Depuis janvier, tous les 11 de chaque mois, on sort un vinyle, soit des rééditions, soit des albums originaux. La réédition de Comme un aimant arrive en août, remastérisé avec un nouveau visuel".
Aux États-Unis, deux concerts massifs rassemblant tous les "old timers" du mouvement sont programmés, dont un le 11 août au cœur du Bronx, avec notamment au menu Run-DMC, Snoop Dogg, Ice Cube, Sugarhill Gang, le pionnier Grandmaster Caz, Kurtis Blow… Et DJ Kool Herc avec sa sœur Cindy.
Happy Birthday, Hip hop !
Par : Olivier Cachin
France 24
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