Pour désengorger la capitale Antananarivo, le gouvernement prévoit la construction de deux lignes de téléphérique pour un montant de 152 millions d’euros. Mais ce projet, soutenu par la France, est vivement critiqué par la population. En cause, un tracé contesté par des défenseurs du patrimoine mais surtout un prix du billet inaccessible à la grande majorité des Malgaches.
C'est l'un des projets phare de la présidence d'André Rajoelina : construire deux lignes de téléphérique pour résoudre le fléau des embouteillages à Antananarivo, la capitale malgache qui connaît une croissance urbaine aussi phénoménale que chaotique.
Selon le gouvernement, ce nouveau moyen de transport doit répondre aux défis posés par des infrastructures vieillissantes, de moins en moins adaptées à une capitale de 3 millions d'habitants mais dont la population pourrait doubler d'ici 15 ans.
Le téléphérique est censé réduire considérablement les temps de trajet et la pollution dans la ville aux douze collines, dont la plus haute culmine à 1 430 mètres d'altitude. Selon le maire de la ville, Naina Andriantsitohaina, le téléphérique sera capable de transporter 40 000 passagers par jour et permettra "d'effectuer en trente minutes un trajet représentant d'une heure et demie à deux heures en véhicule".
"Le projet de téléphérique d'Antananarivo est d'abord motivé par notre volonté d'apporter une solution verte et efficace à nos concitoyens qui subissent tous les jours les conséquences économiques et sanitaires des embouteillages", assure Gérard Andriamanohisoa, secrétaire d'État chargé des Nouvelles villes et de l'Habitat, dans une interview accordée à l'agence Ecofin.
Madagascar suivrait ainsi l'exemple d'autres grandes villes à la topographie difficile comme Lagos au Nigeria, le Cap en Afrique du Sud ou encore Medellin en Colombie.
"Les gens n'ont pas pu donner leur avis"
Mais ce projet de 152 millions d'euros porté par les autorités, le plus coûteux jamais réalisé dans la capitale, est loin de faire l'unanimité auprès de la population malgache. Ses opposants ont remporté, lundi 17 janvier, une première bataille, puisque le gouvernement a promis qu'il allait revoir le tracé de l'ouvrage.
L'une des deux lignes devait traverser la colline sacrée d'Andaholo où se trouvent des bâtiments emblématiques de la capitale, comme la cathédrale et le Rova de Manjakamiadana ou Palais de la Reine, qui fut la demeure des souverains de l'île au XIXe siècle. Un sacrilège pour l'association des Amis du patrimoine de Madagascar, déjà échaudés par la construction en 2020 d'un Colisée en béton dans le centre historique.
"Avec la construction du téléphérique, l'espoir d'une inscription du centre historique au patrimoine mondial de l'Unesco serait définitivement perdu", s'alarme auprès de France 24 Frédéric Rabesahala, président de l'association des Amis du patrimoine, qui assure ne pas être contre le projet mais contre la construction d'une gare à proximité du Palais de la Reine.
Au-delà de sa valeur historique et symbolique, cette colline sacrée pourrait être fragilisée par la construction de pylônes, renforçant le risque de glissements de terrain, fréquents dans la haute ville d'Antananarivo pendant la saison des pluies.
"Globalement, il y a eu un manque de consultation. C'est sans doute ce qui fait qu'aujourd'hui, il y a de la frustration car les gens n'ont pas pu donner leur avis", résume Frédéric Rabesahala.
Hors de prix
Également au centre des critiques, le prix annoncé du billet : environ un euro l'aller simple. Ce qui rendra ce téléphérique tout bonnement inaccessible à une grande partie de la population, les deux tiers des Malgaches vivant avec moins de 1,67 euro par jour.
Pour de nombreux habitants, les autorités devraient s'atteler à des problèmes bien plus urgents alors que la capitale vient de connaître les pires inondations de son histoire depuis 1959. Entre la vétusté des digues, le manque de canaux d'évacuation, des aménagements anarchiques et une gestion des déchets défaillante, les priorités ne manquent pas.
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En France, des voix s'élèvent également pour mettre en cause ce projet soutenu par un prêt du Trésor français et un prêt garanti par la Banque publique d'investissement (BPI).
Le sénateur communiste Pierre Laurent a ainsi déposé le 16 décembre une question écrite au ministre de l'Économie Bruno Lemaire pour lui demander l'abandon de cet aménagement qui "apparaît scandaleux à de très nombreux Malgaches et même à une très grande partie de la communauté française".
"À Antananarivo, il y a des coupures d'électricité tous les jours, une famine dans le sud de l'île, ce projet semble totalement en décalage avec les besoins élémentaires de la population", s'indigne auprès de France 24 Pierre Laurent, qui rappelle que ce marché a été attribué "manifestement" sans appel d'offres.
Le projet de téléphérique a été confié aux entreprises françaises Poma et Colas. Cette dernière a été sanctionnée début janvier par la Banque mondiale pour "collusion et pratiques frauduleuses". L'institution reproche à ce spécialiste des infrastructures ferroviaires, ainsi qu'à Bouygues et ADP, d'avoir contourné les règles dans l'attribution de marchés.
"Au lieu de faire de l'aide au développement, on est dans des projets accordés dans des conditions discutables à des groupes qui cherchent d'abord à en tirer profit", regrette Pierre Laurent.
Contacté par France 24, ni Poma, ni Colas n'ont donné suite à nos sollicitations.
Selon le calendrier fixé par le gouvernement malgache, les travaux pour la construction du téléphérique pourraient débuter au printemps et s'achever dans le courant de l'année 2023.
france24
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