Des féministes sud-coréennes ont mis à jour l’existence de “salles d’humiliation” sur Telegram : dans ces groupes créés sur cette messagerie cryptée, des hommes, pour la plupart très jeunes, s’échangent des images à caractères sexuel de leurs proches, volées et modifiées avec des IA. Nos Observatrices qui ont participé à la dénonciation de ce réseau, voient dans cette affaire un énième exemple de la profonde misogynie qui affecte la société coréenne.
Des milliers de photos et vidéos de femmes volées, modifiées à l’aide de technologies basées sur les intelligences artificielles et les “deepfake” pour les dénuder et leur faire exécuter des actes pornographiques, que des hommes se partagent sur des canaux Telegram dédiés. Sur ces images, ce sont leurs “connaissances”, des camarades de classes, des cousines, voire même des sœurs qu’ils n’hésitent pas à mettre en scène.
Des féministes sud-coréennes se sont infiltrées sur ces canaux et ont partagé sur X une partie du contenu de ce qu’elles nomment des “jiinneung-yog“ qu’on peut traduire comme “salle d’humiliation de proches”.
“J’ai compté 360 000 utilisateurs"
Ji-eun (pseudonyme, elle est derrière le compte X “@Queenarchive1”), est la première à avoir publié un résumé de l’affaire sur X, dans un thread publié le 24 août 2024, où elle partage plusieurs captures d’écran des réseaux Telegram qu’elle a réussi à infiltrer.
Après la révélation d’une première "salle d’humiliation entre connaissances superposées à Daegu" par une féministe sud-coréenne, nous avons travaillé ensemble avec d’autres féministes pour trouver ces salles, collecter des informations et les rendre publiques en mettant l'accent sur le fait que n'importe qui peut être victime de ces crimes.
Les conversations que Ji-eun a découvertes portaient le nom des proches concernés par les images. Certaines s’intitulaient “salle des connaissances” “salle des cousines” ou même “salle des sœurs ainées”.
Il y a tellement de salles différentes et des milliers de personnes impliquées, c’est difficile de déterminer le nombre d'auteurs. Cependant, le média coréen Hankyoreh a découvert une salle avec 227 000 utilisateurs. En tout, j’ai compté 360 000 utilisateurs [ le 27 août, NDLR]. Il est difficile de garantir que toutes ces personnes sont des hommes coréens, mais je crois que c’est le cas de la plupart d’entre eux.
La majorité des victimes seraient des mineures, selon l’agence de presse coréenne Yonhap. Les médias coréens rapportent également que les utilisateurs de ces salles seraient, eux aussi, également de très jeunes hommes, des adolescents. Sur X, des listes d’établissements impliqués ont d’ailleurs circulé - s’appuyant sur les noms des salles Telegram, créées vraisemblablement par des élèves qui les nommaient avec le nom de leur établissements scolaires.
Les deepfakes - des montage vidéos mettant en scène une personne - et images pornographiques de ce type peuvent être qualifiables de “crime sexuel digital” et punissables par la loi coréenne, notamment sur la protection des mineurs, mais l’encadrement de ce type de délit est encore flou dans le pays.
Selon la police nationale sud-coréenne, 73,6 % des suspects arrêtés depuis le début de l’année pour des crimes incluant des images modifiées par des technologies d’IA étaient des adolescents.
La rédaction des Observateurs a pu accéder à l’une de ces “salles d’humiliation de proches” sur Telegram. On y voit des utilisateurs envoyer des photos de jeunes femmes pour qu’elles soient modifiées par IA pour leur donner un caractère sexuel. Parmi elles, des mannequins, célébrités, mais aussi des “connaissances” selon ce qu’en disent les utilisateurs.
“Ces groupes sont périodiquement supprimés et recréés afin d'éviter que les forces de l'ordre ne les identifient”
Après ces révélations, la police sud-coréenne a annoncé l’ouverture d’une enquête dans une conférence de presse lundi 26 août, tout en précisant qu’elle n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre sur la messagerie Telegram, dont les serveurs sont à l’étranger.
Ce n’est effectivement pas un hasard si ces réseaux prospèrent sur Telegram selon notre Observatrice, Ji-eun :
Avant, cela arrivait déjà sur Twitter, mais Telegram a gagné la réputation d’être peu soucieux de la sécurité et peu coopératif avec les forces de l'ordre, de sorte que ces criminels se sont déplacés vers Telegram.
Ces groupes sont périodiquement supprimés et recréés afin d'éviter que les forces de l'ordre ne les identifient”
Pour Ingong (pseudonyme), féministe sud-coréenne qui a également alerté sur ces “salles d’humiliation de proche”, cette affaire est la continuité, technologiquement plus avancée, d’abus que subissent les femmes coréennes en ligne depuis des années :
Ces “salles d’humiliations de proches” existaient sous une autre forme depuis longtemps. Le deep fake n'avait pas encore été inventé, donc les hommes coréens utilisaient simplement les photos d'autres femmes autour d'eux, qu’ils rapportaient sur X en les qualifiant avec des mots très explicites pour la décrire. Puis d’autres gars les modifiaient de façon très dégradante, ou encore en postant des photos de leur pénis et de leur sperme sur la photo de la victime. Lorsque j'ai vu cela pour la première fois, tout ce que j'ai pu faire, c'est de les dénoncer sur X, mais il n’y a eu aucune conséquence pour ces comptes. Et j'ai été choqué par le fait que ces même [genre de] gars aient développé eux-mêmes l'utilisation de Telegram et de la technologie de deep-fake.
Les affaires impliquant des images modifiées à l’aide des IA à caractère sexuel se sont multipliées ces dernières années en Corée du Sud. En mai 2024, plusieurs personnes ont notamment été arrêtées dans le cadre d’un procès autour d’une chaîne Telegram qui diffusait des images volées d’étudiantes de l’Université de Séoul.
Mais c’est surtout l’affaire “Nth room”, un réseau d’images de femmes, incluant des mineurs, subissant des violences sexuelles découvert en 2020 qui avait secoué le pays. Le principal suspect a depuis été arrêté.
France 24
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