Un prince, d'anciens soldats d'élite, une ressortissante russe et une ex-députée d'extrême droite : tel est le sulfureux casting d'un groupuscule complotiste, prêt à renverser les institutions démocratiques allemandes, dont les plans ont été déjoués mercredi.
Cette cellule nourrie à l'idéologie des "Reichsbürger" (Citoyens du Reich, ndlr), une mouvance extrémiste qui a pris de l'ampleur avec les restrictions sanitaires, s'était construite avec une organisation quasi gouvernementale, en vue d'un coup d'Etat.
"Elle s'était dotée d'un conseil avec des personnes déjà désignées pour certains portefeuilles ministériels (...) et d'un bras militaire avec une nouvelle armée allemande", a décrit le procureur antiterroriste Peter Frank, au cours d'un point presse à Karlsruhe (ouest).
Plus tard, il a précisé à la chaîne ARD que les préparatifs du groupe étaient "à un stade avancé", bien qu'aucune date n'ait été fixée. "Nous sommes sûrs qu'ils seraient passés à l'action", a-t-il ajouté.
Fondé "au plus tard fin 2021", le groupuscule avait "pour objectif de venir à bout de l'ordre étatique existant en Allemagne", un projet ne pouvant être réalisé "que par l'utilisation de moyens militaires et de la violence contre les représentants de l'Etat".
Au petit matin, 25 personnes ont été arrêtées lors d'un vaste coup de filet dans tout le pays, une interpellation a eu lieu en Autriche et une autre en Italie. L'enquête vise au total 52 personnes.
La justice les soupçonne d'"avoir fait des préparatifs concrets pour pénétrer violemment dans le Bundestag allemand", la chambre des députés à Berlin, "avec un petit groupe armé", selon un communiqué du parquet. Un scénario qui rappelle l'assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump aux Etats-Unis.
"Profondément inquiet"
Quelque 3.000 membres des forces de l'ordre ont été mobilisés et plus de 130 perquisitions ont été effectuées dans ce que les médias ont décrit comme la plus importante opération policière de ce type jamais réalisée en Allemagne.
Le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, s'est dit "profondément inquiet" face à ce complot, estimant qu'un "nouveau niveau" avait été atteint.
Sont cités par la justice en tant que meneurs présumés : "Henri XIII P. R." et "Rüdiger v. P.".
Le premier, identifié par la presse allemande comme étant le Prince Reuss, descendant d'une lignée de souverains de l'Etat régional de Thuringe (est), est un entrepreneur septuagénaire.
Arrêté à Francfort, il possédait également un château près de Bad Lobenstein, dans le centre de l'Allemagne, qui a été perquisitionné.
Le second est, selon les médias, un ex-lieutenant colonel de la Bundeswehr, commandant d'un bataillon de parachutistes dans les années 1990 et fondateur d'un commando d'Unité des forces spéciales (KSK).
D'autres militaires sont impliqués dans le complot, dont un qui a encore des fonctions, membre du KSK, a précisé un porte-parole du ministère de la Défense, Arne Collatz.
Autre protagoniste, la Russe "Vitalia B.", identifiée par la presse allemande comme étant la compagne de Henri XIII, a, selon les procureurs, servi d'intermédiaire pour tenter de prendre contact avec les autorités russes en vue d'un éventuel soutien.
Le Kremlin a pour sa part fermement démenti mercedi toute "ingérence russe" dans ce dossier.
Juge à Berlin
Les autorités ont également interpellé une magistrate, Birgit Malsack-Winkemann, une ancienne députée du parti d'extrême droite AFD qui a siégé au Bundestag entre 2017 et 2021.
Sans la nommer directement, le procureur Peter Frank a dit qu'"une ancienne députée du Bundestag était pressentie pour le portefeuille de la Justice" dans le gouvernement des complotistes.
Une procédure a été engagée pour la démettre de ses fonctions de juge à Berlin.
Après leur coup d'Etat, les conspirateurs avaient imaginé placer le Prince Reuss à la tête de leur exécutif.
Au moins quatre réunions ont eu lieu au cours de l'été afin d'étendre le réseau, selon le parquet, les effort de recrutement ayant en particulier visé les policiers et les militaires.
La branche militaire de la cellule criminelle était chargée d'acheter des armes et d'organiser des entraînements.
Les autorités allemandes ont classé ces dernières années la violence d'extrême droite au premier rang des menaces à l'ordre public, avant le risque jihadiste.
Au printemps, elles avaient démantelé un autre groupuscule d'extrême droite, soupçonné d'avoir projeté des attentats et l'enlèvement du ministre de la Santé, à l'origine des mesures de restriction anti-Covid.
Sur les quelque 20.000 militants estimés de la mouvance des Reichsbürger en Allemagne, une frange s'est radicalisée, intégrant notamment des négationnistes et envisageant le recours à l'action violente.
seneweb
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