Après le 49.3 utilisé par le gouvernement Borne pour faire adopter la réforme des retraites, quelles sont les suites à attendre ? Motions de censure, manifestations, hypothèse de dissolution, référendum d'initiative partagée… France 24 fait le point sur les prochaines étapes pour Emmanuel Macron et ses oppositions.
Après une réforme des retraites adoptée au forceps via la 100e procédure de 49.3 de la Ve République, les oppositions au projet de loi ne désarment pas. Elles espèrent toujours faire reculer le gouvernement avant la promulgation de sa loi.
À l'image de la coalition de gauche Nupes, elles espèrent utiliser "tous les moyens à sa disposition" pour faire échouer la réforme contestée des retraites, du soutien au mouvement social à un référendum d'initiative partagée en passant par les motions de censure et le Conseil constitutionnel.
• Examen des motions de censure
Dans la foulée du 49.3, deux motions de censure ont été déposées. L'une émane du groupe du Rassemblement national ; l'autre, du groupe Libertés, Indépendants Outre-mer et Territoires (Liot), est surveillée comme le lait sur le feu par le gouvernement.
En effet, soutenue par la Nupes, cette motion de censure, parce qu'elle apparaît comme transpartisane, est la plus à même d'être adoptée. Le petit groupe fourre-tout se retrouve ainsi en position de pivot des oppositions du fait de son positionnement centriste et modéré, avec une motion qui peut recueillir les suffrages de la gauche, de l'extrême droite voire de certains Républicains qui voudraient franchir le pas de l'opposition au gouvernement, en plus de celle à la réforme des retraites.
Les motions de censure devaient être déposées dans un délai de vingt-quatre heures après le déclenchement de l'article 49.3. Il faudra ensuite attendre au minimum quarante-huit heures pour qu'elles soient débattues – c'est la conférence des Présidents qui fixera l'heure d'examen.
Pour être adoptée, l’une ou l’autre des motions de censure devra réunir les voix de la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale, soit 289 suffrages en temps normal, mais 287 actuellement car quatre sièges restent non pourvus. Une condition qui évite qu'une majorité simple, liée à des abstentions, ne suffise à renverser un gouvernement. En clair : toute abstention vaut soutien implicite au gouvernement, selon la Constitution.
Pour cette condition aussi, il est peu probable de voir une motion de censure l'emporter. Avec l'ensemble des députés Nupes (149), RN (88), et de tous les Liot (20), il manque encore 32 voix pour l'adopter. Plus de la moitié du groupe Les Républicains devrait donc franchir le Rubicon alors que le président de LR Ciotti assure qu'aucun de ses membres ne soutiendra de motions de censure. À moins d'une défection improbable des rangs de LREM, ou de ses alliés du Modem et d'Horizons.
Mais si une des motions de censure venait à être votée, la loi sur laquelle le gouvernement d'Élisabeth Borne avait engagé sa responsabilité serait alors rejetée. Emmanuel Macron aurait alors le choix de désigner un autre Premier ministre ou bien conserver sa confiance à Élisabeth Borne – et, dans ce cas, dissoudre l'Assemblée nationale. Une solution qui avait été adoptée par Charles de Gaulle en 1962 lors de la seule motion de censure adoptée de la Ve République.
• "Une seule solution, la dissolution" ?
Le slogan fait florès dans les cortèges. La dissolution est agitée par Emmanuel Macron comme une menace récurrente depuis que les élections législatives de juin 2022 ne lui ont laissé qu'une majorité relative pour gouverner. Elle l'était encore à la veille du 49.3 pour espérer faire rentrer dans le rang les Républicains réticents à voter la réforme.
S'inscrire dans les pas du général de Gaulle en répondant à une motion de censure par une dissolution, voilà qui, sans doute, ne déplairait à Emmanuel Macron. Même dans les rangs des soutiens de l'exécutif, les nouvelles législatives apparaissent comme une solution. Un responsable du groupe majoritaire affirme ainsi, sous couvert d'anonymat, que la séquence des retraites et le 49-3 est "un crash. Il faut une dissolution". Et repartir du bon pied en gagnant les élections qui reboosteraient le capital politique de la macronie.
Reste que la manœuvre est hasardeuse. En 1997, Jacques Chirac avait tenté la manœuvre qui lui avait coûté sa majorité. Une éventuelle dissolution de 2023 pourrait aboutir aux mêmes conséquences…
Sans boule de cristal, difficile de prédire qui pourrait sortir gagnant de ces hypothétiques législatives : la Nupes, à condition de s'entendre sur les investitures, pourrait faire un bond en capitalisant sur le mouvement social réussi. Mais les observateurs alertent sur le fait que le gagnant le plus probable risque d'être le RN, prospérant sur le mécontentement grandissant de la société française.
L'Assemblée nationale risquerait alors d'être plus morcelée que jamais, rendant improbable l'existence d'une majorité.
• La rue ne désarme pas
La suite pour la réforme des retraites se jouera aussi dans la rue. Après la décision du gouvernement de recourir au 49.3 pour faire adopter son projet de loi, l'intersyndicale s'est réunie et a dénoncé "un déni de démocratie" et un passage "en force".
"Aujourd'hui, c'est ce mouvement social exemplaire qui démontre que le président de la République et son gouvernement sont en échec devant l'Assemblée nationale", ont écrit les huit principaux syndicats français dans leur communiqué.
L'intersyndicale a appelé à "des rassemblements locaux de proximité" durant le week-end du 18 mars et à une neuvième journée de grèves et de manifestations le jeudi 23 mars.
Reste qu'après des semaines de mobilisation dans le calme, le mouvement pourrait durcir et échapper à l'encadrement des syndicats. Un scénario que l'intersyndicale agite depuis des semaines face à l'inflexibilité de Macron. L'usage du 49.3 a donné raison aux syndicalistes. Plusieurs manifestations spontanées ont eu lieu dans la foulée de l'utilisation de l'article de la Constitution, donnant lieu à de multiples incidents et interpellations.
• Vers un référendum d'initiative partagée ?
La Nupes préfère garder plusieurs cartes dans sa main pour lutter contre la réforme des retraites proposée par le gouvernement. Si la motion de censure venait à échouer, le référendum d'initiative partagée (RIP) pourrait être une autre option.
Arme constitutionnelle à la disposition des parlementaires, le RIP prévoit la possibilité d'organiser une consultation populaire sur une proposition de loi "à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement", soit au moins 185 des 925 parlementaires (577 députés, 348 sénateurs). Elle doit aussi être "soutenue par un dixième des électeurs", soit 4,87 millions de personnes, dont les signatures doivent être recueillies dans un délai de neuf mois.
Pour Valérie Rabault, vice-présidente socialiste de l'Assemblée nationale, la procédure permettrait de "bloquer pendant neuf mois la mise en œuvre de cette réforme". Mais "si un RIP est déclenché sur les retraites, il faut qu'il le soit avant la promulgation de la loi".
Pour son collègue de la Nupes, le député PCF Stéphane Peu a assuré que l'inter groupe disposait depuis mardi 14 mars des 185 parlementaires nécessaires à la procédure. Sa proposition de loi proposera que "l'âge de départ à la retraite ne puisse pas excéder 62 ans", a-t-il précisé.
• Le Conseil constitutionnel, un autre recours
Le RIP n'est pas la seule carte qui reste à abattre aux opposants de la réforme si les motions de censure ne trouvent pas de majorité : "Il y aura plusieurs recours au Conseil constitutionnel contre ce texte s’il était voté", assurait ainsi mardi 14 mars, Charles de Courson, député centriste du groupe Liot.
Les députés de gauche comptent s’appuyer sur l’avis du Conseil d’État, qui avait alerté le gouvernement d’un risque d’inconstitutionnalité de certaines mesures de son projet de réforme et notamment son manque de chiffrage clair, celui présenté initialement par le gouvernement ayant été battu en brèche au fur et à mesure des débats.
La chef de fil des Insoumis à l'Assemblée nationale, Mathilde Panot, a promis que la gauche saisirait le Conseil constitutionnel. La coalition va faire valoir que la réforme, insérée dans un projet rectificatif du budget de la Sécurité sociale, tient du cavalier législatif, puisque les finances ne sont pas le seul aspect abordé dans le texte.
FRANCE 24
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