La réaction d'Islamabad à la victoire des Taliban à Kaboul a été à l'opposé de la consternation affichée par les capitales occidentales. Leur triomphe a montré que les Afghans avaient "brisé les chaînes de l'esclavage", a ainsi affirmé le Premier ministre pakistanais, Imran Khan.
L'assistant spécial du chef du gouvernement, Raoof Hasan, a quant à lui considéré la chute de Kaboul – pour beaucoup, un moment résumé par les images de centaines d'Afghans courant après un avion américain, essayant désespérément de fuir – comme "une douce transition du pouvoir des mains d’un gouvernement afghan corrompu à celle des Taliban".
Plus révélateur encore, la ministre pakistanaise du Climat, Zartaj Gul Wazir, s'est réjouie – dans un tweet supprimé par la suite – des conséquences du changement de pouvoir à Kaboul pour l'éternel rival du Pakistan : "L'Inde reçoit un cadeau approprié pour sa fête de l'Indépendance."
Le soutien de New Delhi aux gouvernements afghans pro-occidentaux, dirigés par Hamid Karzaï puis Ashraf Ghani, était réprouvé par Islamabad, les relations entre l'Inde et le Pakistan ayant été marquées par trois guerres et des heurts répétés dans la région disputée du Cachemire depuis la fin de la domination britannique en 1947.
"Sous Ghani, l'Afghanistan était considéré comme particulièrement proche de l'Inde, et cela a bien sûr causé beaucoup de consternation, car toute la politique étrangère du Pakistan est façonnée par la peur d'être encerclé par l'Inde à l'est, et par un gouvernement afghan pro-indien à l'ouest et au nord", explique à France 24 Farzana Shaikh, spécialiste du Pakistan au Royal Institute of International Affairs de Londres (Chatham House). Par conséquent, poursuit la chercheuse, "le Pakistan considère le retour des Taliban comme le succès d'une politique de longue date conçue pour garantir un gouvernement ami en Afghanistan".
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"Le mauvais ennemi"
De nombreux analystes et journalistes – notamment Carlotta Gall, ancienne correspondante du New York Times en Afghanistan, dans son livre "The Wrong Enemy: America in Afghanistan" (2014) – ont accusé l'État pakistanais de soutenir secrètement les Taliban, pointant notamment du doigt la Direction pour le renseignement inter-services (ISI, la plus importante et la plus puissante des trois branches des services de renseignements pakistanais, NDLR).
Le diplomate américain Richard Holbrooke, envoyé spécial en Afghanistan et au Pakistan, avait lui-même affirmé : "Nous combattons peut-être le mauvais ennemi dans le mauvais pays", sous-entendant que les véritables ennemis des États-Unis dans la région étaient en réalité l'ISI et l'armée pakistanaise.
Après le 11-Septembre, le Pakistan a promis de soutenir l'intervention américaine en Afghanistan, laquelle a permis de renverser les Taliban. Et Islamabad a plusieurs fois nié toute aide aux insurgés islamistes.
En juin dernier, le ministre de l'Intérieur, Rashid Ahmed, a cependant admis que "des familles talibanes vivent ici au Pakistan" et "parfois elles viennent ici dans les hôpitaux [sic] pour se faire soigner".
En 2015, Pervez Musharraf, président pakistanais de 2001 à 2008, avait pour sa part déclaré au Guardian : "Nous recherchions évidemment des groupes pour contrer […] l'action indienne contre le Pakistan. C'est là qu'intervient le travail de renseignement. Le renseignement étant en contact avec des groupes talibans."
"Il ne fait aucun doute, parmi les universitaires, les responsables et les personnes sur le terrain en Afghanistan, que les agences de renseignement pakistanaises ont fortement soutenu les Taliban dès la formation du mouvement dans les années 1990, que ce soutien s'est poursuivi au-delà de 2001, que la direction du groupe était basée sur le sol pakistanais, et que c'est une raison importante du maintien des Taliban pendant tant d'années", explique à France 24 Shashank Joshi, en charge des questions de défense à The Economist.
"Les États-Unis prennent des gants avec le Pakistan"
Des inquiétudes persistent quant au fait que le Pakistan joue sur deux tableaux dans la lutte contre le jihadisme. Le Groupe d'action financière (GAFI) – une organisation multilatérale basée à Paris luttant contre le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent – a annoncé en juin qu'il accordait au Pakistan quatre mois supplémentaires pour adopter un plan convenu au niveau international pour mettre fin au financement des groupes jihadistes sur son territoire.
Si Islamabad ne s’y conforme pas, le GAFI demandera à ses États membres d'ajouter le pays à sa liste noire des nations exclues des institutions financières mondiales, aux côtés de la Corée du Nord et de l'Iran.
Bien avant le rapport du GAFI, de nombreux observateurs se demandaient pourquoi les allégations récurrentes concernant le soutien pakistanais aux Taliban n'avaient jamais déclenché de sanctions américaines. "Beaucoup de gens demeurent perplexes devant le fait que les États-Unis prennent des gants avec le Pakistan", souligne ainsi Farzana Shaikh.
france 24
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