À quelques semaines du scrutin, les candidats à l'élection présidentielle dévoilent leurs ambitions pour le pays. La lutte contre l'émigration clandestine, qui a bondi sous la présidence de Macky Sall, a bonne place dans les programmes. Leurs propositions sont-elles en accord avec les aspirations des Sénégalais ? Éléments de réponse.
Le drame est survenu à l'embouchure de Saint-Louis. Après plusieurs jours en mer, la pirogue blanche et verte qui avait fait demi-tour au large du Maroc sombre près des côtes sénégalaises fin février. Quelques jours plus tôt, entre 200 et 300 personnes avaient pris place dans cette embarcation partie de Joal-Fadiouth, dans le sud du pays. Seule une vingtaine a été secourue par les autorités, et vingt-quatre corps ont été récupérés. Mais aucune trace des autres exilés.
Ce naufrage fait partie de la longue liste de tragédies similaires que connaît le pays depuis plusieurs années, et qui se sont multipliées ces derniers mois. Imprégnant, logiquement, la sphère politique sénégalaise en campagne pour l'élection présidentielle, fixée au 24 mars.
"On ne nous écoute pas"
Pour son premier déplacement de campagne, Idrissa Seck, ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade et chef du parti Rewmi, a rencontré les pêcheurs de la ville de Ouakam près de Dakar. "La pêche a des difficultés, a-t-il déclaré. Si des milliers de jeunes pouvaient trouver leur compte dans la pêche, ils n'iraient pas braver la mort". À cause de la raréfaction du poisson en mer, causée entres autres par le réchauffement climatique, les pêcheurs sénégalais peinent en effet à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Un rapport publié en octobre 2023 par la Fondation pour la justice environnementale (EJF) révèle que près de deux-tiers des pêcheurs sénégalais gagnent moins d’argent qu’il y a cinq ans.
Beaucoup d’entre eux remplissent donc les pirogues qui s’engagent sur la route des Canaries, au péril de leur vie. Une situation dont doit se défendre, pour être élu, le représentant du parti au pouvoir et ancien Premier ministre, Amadou Ba. Mais le bilan présidentiel sur cette "question très douloureuse" sera "difficile à défendre", avance Maurice Soundieck Dione, professeur agrégé de Science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. En 2023, près de 40 000 personnes, en majorité sénégalaises, ont débarqué aux Canaries. Un chiffre jamais enregistré dans l’archipel, même au plus fort de la "crise des cayucos" en 2006 lors de laquelle près de 32 000 migrants avaient été comptabilisés.
"Jamais, on évoque nos difficultés au quotidien, celles justement qui nous poussent à partir. La politique de Macky Sall est un échec total. Il nous a délaissé et a donné la mer aux étrangers", déplore de son côté un membre de l’Union nationale de la pêche artisanale du Sénégal (Unapas) de Dakar, qui préfère rester anonyme.
Très décriés par les Sénégalais, les accords de pêche signés par Dakar avec la Chine et certains pays de l’Union européenne font partie des causes qui expliquent la diminution, drastique dans certaines zones du littoral, des ressources halieutiques. "Certains bateaux pêchent devant nous, à 10 km de la plage. Comment peut-on lutter ? Si ça, ça ne s’arrête pas, les gens continueront de partir", souffle le militant de l'Unapas.
La création d’emploi pour lutter contre les départs
Autre argument utilisé par les candidats pour lutter contre les départs, celui de la création d’emplois pour les jeunes et leur insertion sur le marché du travail. Anta Babacar Ngom, du mouvement Alternative pour la relève citoyenne (ARC), a proposé par exemple lors d'une visite à l'université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar le 29 février, "d’investir dans l’éducation et la formation professionnelle" et de créer "des initiatives visant à stimuler l’entrepreneuriat et la création d’emplois pour les jeunes".
En déplacement à Bargny et Rufisque le 10 mars, le candidat du Parti de l’Unité et du Rassemblement (PUR) Aliou Mamadou Dia a souligné le "besoin de soutien de ces populations notamment en terme d’emplois, car cette frange du Sénégal est en perte d’espoir". Dans une interview à France24, Khalifa Sall, président de la plateforme politique Taxawu Senegaal, affirmait : "Il faut faire en sorte que les gens aient les moyens de vivre et de travailler, pour garder leur dignité". "On doit revoir nos propres politiques économiques, nos stratégies de développement pour répondre aux aspirations de la population, qui parce qu’elle n’a plus de réponse, préfère la mort ou l’exit, plutôt que de rester dans la honte".
Des propositions similaires à celles avancées dès 2021 par le président Macky Sall avec le plan Xëyu Ndawñi, un programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socioéconomique des jeunes. Le but d’alors ? Développer le pays, mais surtout dissuader sa jeunesse de le quitter.
Info Migrants - rfi
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